jeudi 28 février 2008

Farrakhan

Ce fut sans doute le moment le plus délicat pour Barack Obama lors du débat mardi à Cleveland (Ohio) avec son adversaire Hillary Clinton. Il s’en est finalement tiré avec une certaine aisance, enfermant une fois de plus Hillary dans l’amertume et les récriminations.

Obama aurait certainement préféré se passer du soutien de Louis Farrakhan, leader de la Nation de l’Islam, une organisation religieuse et politique qui combat pour la fierté de l’homme noir. « J’ai été très clair dans ma dénonciation des propos antisémites du pasteur Farrakhan. Je pense qu’ils sont inacceptables et condamnables. Je n’ai pas sollicité ce soutien. Il a dit qu’il était fier qu’un Africain-Américain apparaisse rassembler le pays. Je ne peux évidemment pas le censurer, mais ce n’est pas un soutien que j’ai cherché. »

Obama a refusé toutefois de rejeter ce soutien pour éviter sans doute de s’aliéner les partisans de Farrakhan. « Je ne peux pas dire à quelqu’un qu’il ne peut pas dire qu’il pense que je suis quelqu’un de bien ». Il s’est défendu en affirmant avoir un fort soutien au sein de la communauté juive « parce qu’ils savent que non seulement je ne tolérerais pas d’antisémitisme sous quelque forme que ce soit, mais aussi parce que je veux reconstruire la relation historique entre la communauté africaine-américaine et la communauté juive ».

Pointant le doigt là où cela fait mal, Hillary Clinton a suggéré que dans la même situation en 2000 lorsqu’elle était candidate pour le Sénat dans l’Etat de New York, elle avait rejeté le soutien d’un petit parti qui était antisémite. Clinton : « Il y a une différence entre dénoncer et rejeter ». Obama : « Je ne vois pas de différence entre dénoncer et rejeter… Mais si le mot ‘rejeter ‘ est plus fort selon la sénatrice Clinton que le mot ‘dénoncer’, alors je suis heureux de lui concéder ce point, et je rejetterais et dénoncerais ». Habile. Mais les détracteurs d’Obama y auront vu surtout la prouesse d’un brillant rhétoricien manquant toutefois de substance et cherchant à ne mécontenter personne.

Agé de 74 ans, Farrakhan, dont la santé est chancelante, est depuis 1978 à la tête de la Nation de l’Islam, dont le siège est à Chicago, la ville d’Obama. Il avait notamment organisé en 1995 à Washington une énorme manifestation rassemblant des centaines de milliers d’hommes noirs (« Million Man March »). Le leader charismatique est accusé d’avoir tenu à multiples reprises des propos racistes, homophobes et antisémites. Il aurait qualifié le judaïsme de « religion de caniveau ». En 2006, il avait déclaré : « Ces faux juifs font la promotion des saletés d’Hollywood…Ce sont les juifs malfaisants, les faux juifs qui font la promotion du lesbianisme, de l’homosexualité ».

Un éditorialiste du Washington Post, Richard Cohen, en janvier avait relevé que Barack Obama était membre de la Trinity United Church of Christ à Chicago et que le pasteur de cette église, le révérend Jeremiah A. Wright, était son conseiller spirituel. L’an dernier, le magazine créé par Wright avait estimé que Farrakhan « personnifiait vraiment la grandeur ». Selon le magazine, le pasteur Wright saluait chez Farrakhan “la profondeur de son analyse quand il s’agit des maux raciaux de cette nation » et “son intégrité et son honnêteté ». Et Cohen de s’inquiéter : “Ce sont les mots d’un homme qui a prié avec Obama juste avant que le sénateur de l’Illinois annonce sa candidature pour la présidentielle. Priera-t-il avec lui juste avant son inauguration ? »

mardi 26 février 2008

Obama teflon

Tout glisse sur Obama-teflon. Le candidat démocrate a une fois de plus prouvé mardi soir qu’il résistait aux attaques de son adversaire Hillary Clinton lors du débat à Cleveland (Ohio).

Les deux candidats avaient le visage fermé, prêts à attaquer et défendre leurs positions pied à pied. Mais Hillary semblait avoir l’amertume des vaincus et ses attaques répétées contre Barack apparaissaient vaines et désespérées. Obama a rejeté ces attaques, répondant point par point avec l’aisance de celui qui sait qu’il a déjà gagné et qui peut se montrer parfois magnanime.

Hillary a tout essayé. Elle s’est même plainte des journalistes, se référant à la célèbre émission de télé « Saturday Night Live » qui s’est moqué le week-end dernier du faible des journalistes américains pour Obama. « Puis-je seulement souligner que lors des derniers débats, il semble qu’on me pose tout le temps la première question. Cela m’est égal. Je suis heureuse d’y répondre, mais je trouve cela curieux, et si vous avez regardé Saturday Night Live, peut-être que vous devriez demander à Barack s’il se sent bien et s’il a besoin d’un autre oreiller ». Mais rien n’y a fait. Barack Obama n’a pas daigné répondre à cette attaque. Dur d’apparaître comme une mauvaise perdante.

A une autre occasion, Obama s’est moqué d’Hillary, alors que les journalistes repassaient un extrait où elle le singeait en candidat naïf (Clinton : « Le ciel s’ouvrira, la lumière descendra, les chœurs célestes chanteront et tout le monde saura que nous ferons ce qu’il faut et le monde sera parfait»). « C’est bien », a réagi Obama, mettant les rieurs de son côté. « Je pense que la sénatrice Clinton a montré un bon sens de l’humour. Je lui donnerai une bonne note pour la façon dont elle l’a dit”. Même Clinton a dû rire.

Hillary a multiplié les attaques ces derniers jours dans un effort désespéré pour gagner les primaires la semaine prochaine dans les Etats du Texas et de l’Ohio. Elle a accusé son adversaire d’avoir caricaturé ses propositions en matière de couverture santé universelle. (« Honte à toi, Barack Obama. Il est temps que tu mènes une campagne cohérente avec ce que tu dis »). Elle l’a attaqué sur ses capacités à être le commandant en chef et a dénoncé son manque d’expérience en politique étrangère, le comparant à l’actuel président George W. Bush avant que celui-ci ne devienne président.

Mais rien ne semble marcher. Obama s’est montré grand seigneur sur l’affaire de la photo le montrant en habit traditionnel africain à l’occasion d’un voyage en Afrique. Celle photo a été diffusée il y a quelques jours sur le site internet Drudge Report qui a affirmé qu’elle avait été fournie par un membre de la campagne Clinton. Hillary a démenti que cela vienne de son entourage. Et Obama s’est montré grand seigneur. “Je prends au mot la sénatrice Clinton qui dit qu’elle ne savait rien concernant cette photo. Je pense que nous pouvons passer à autre chose », a déclaré Obama.

Le teflon est une matière plastique qui résiste aux hautes températures et à la corrosion. C’est de cette matière que semblait être recouvert Barack Obama mardi soir. A la fin du débat, il a rendu hommage à Hillary Clinton : « La sénatrice Clinton a fait une campagne magnifique… il n’y a pas de doute (qu’elle) est qualifiée, compétente et qu’elle serait une bien meilleure présidente que John McCain », mais « je pense que suis meilleur pour être le nominé». Cela sera certainement perçu comme de l’élégance.

Hillary avait fait la même chose la semaine dernière lors du débat au Texas. Mais cela avait été considéré comme un signe de résignation à la défaite à venir. Cette fois-ci, elle n’a pas eu un mot flatteur pour son adversaire à la fin du débat.

lundi 25 février 2008

L'Architecte

Il avait disparu de la circulation fin août, après avoir démissionné de son poste de conseiller à la Maison Blanche. Karl Rove, surnommé « l’Architecte » par le président George W. Bush pour le remercier de l’avoir placé et maintenu au pouvoir grâce à son habileté politique diabolique, avait alors servi l’habituelle explication, très en vogue chez les responsables politiques américains qui ne veulent pas dire les véritables raisons de leur départ : « je dois le faire par amour pour ma famille ». Vaguement, il avait ajouté qu’il pensait écrire un livre sur sa carrière dans la politique et qu’il allait quitter Washington pour retourner au Texas.

Depuis quelques semaines, Karl Rove est de retour, cette fois-ci dans les médias. Il est apparu comme commentateur politique sur la chaîne de télévision Fox News le jour du « Super Tuesday », le 5 février. Pas de coup d’éclat ce soir-là. Selon le blog politique du Washington Post, sa prestation n’a pas été hauteur de la réputation du personnage : « Rove est apparu vraiment fade à la télé. Comme une grosse gaufrette à la vanille”. Certes, il a montré qu’il s’y connaissait en stratégie électorale, maniant avec dextérité le décompte de délégués de chaque candidat, mais il n’a pas dépassé le stade du bon élève.

Placé au pinacle par les républicains pour leur avoir permis de gagner les présidentielles de 2000 et 2004, « l’Architecte » avait perdu de son aura avec leur défaite aux élections de « mid-term » en 2006. En revanche, il reste toujours un épouvantail pour les démocrates qui vomissent les pratiques malfaisantes, dont il était, selon eux, un spécialiste. Rove est tellement détesté par une partie des Américains que le discours qu’il devait prononcer cette année à l’occasion de la remise des diplômes à Choate Rosemary Hall, un lycée privé dans le Connecticut, a été annulé en raison des protestations d’étudiants et de professeurs.

« Alors, aimez-vous être une star de la télé ? », a demandé à Rove un des présentateurs de Fox News, Alan Colmes. “C’est un peu stressant. Comment pouvez-vous faire cela depuis des années, Alan? », a plaisanté l’Architecte. Est-ce le stress ou bien des vacances trop prolongées, mais Karl a perdu un peu de son côté magicien. “Je pense que cela va être la sénatrice Clinton parce qu’à mon avis les meilleures opportunités du sénateur Obama sont derrière lui », avait-il prédit le soir du « Super Tuesday ». Avec onze victoires consécutives depuis le 5 février, Barack Obama lui a donné complètement tort. Pour se rattraper, « l’Architecte » a publié un point de vue dans le Wall Street Journal le 21 février, dans lequel il estime qu’Obama n’a pas été assez critiqué par Hillary Clinton. Et Rove de donner des conseils à Hillary : « Mme Clinton peut davantage attirer l’attention sur l’absence de succès de M. Obama…. L’incapacité de celui-ci à agir, à défendre ce qu’il affirme être désormais ses priorités pourrait être sa dernière chance de marquer des points ».

Alors Rove, nouveau conseiller de Clinton ? C’est plutôt mal parti après les propos de la candidate samedi. Lors d’un meeting à Cincinnati (Ohio), elle a accusé son adversaire Obama d’avoir caricaturé dans un tract ses propositions sur une couverture santé universelle. « Ce n’est pas parce que le sénateur Obama a choisi de ne pas présenter un plan instituant une couverture santé universelle que cela lui donne le droit de m’attaquer parce qu’en ai un. Ayons une vraie campagne. Assez des discours, des grands rassemblements et des tactiques qui sont sorties tout droit du manuel de Karl Rove ».

« L’Architecte » risque encore de faire parler de lui d’ici l’élection présidentielle en novembre.

samedi 23 février 2008

Femme de...

Pas facile de faire campagne aux côtés de son époux candidat à la Maison Blanche quand on n’a pas forcément la fibre politique. Michelle Obama en a fait l’amère expérience cette semaine en prononçant une phrase malheureuse qui a été aussitôt détournée par les républicains. “Pour la première fois dans ma vie d’adulte, je suis fière de mon pays. Et pas seulement parce que Barack réussit, mais parce que je pense que les gens ont faim de changement », a-t-elle lundi lors d’un meeting à Milwaukee (Wisconsin).

Il n’a pas fallu longtemps au candidat républicain John McCain pour tirer partie de cet impair. Il s’est empressé de mettre en avant (pour une fois) son épouse Cindy qui a proclamé, faussement ingénue : « Je suis fière de mon pays. Je ne sais pas en ce qui vous concerne si vous avez entendu ces mots auparavant. Je suis fière de mon pays ». Elle n’en a pas dit plus, laissant la presse et les commentateurs conservateurs faire le sale boulot. Et ils ne sont pas privés, se jetant sur la gaffe de Michelle Obama comme des bêtes affamées, trop contents de recoller les morceaux d’un mouvement républicain divisé par la candidature McCain pour dénoncer le manque de patriotisme de l’épouse de Barack, révélateur, selon eux, de cette gauche américaine qui n’aime pas les Etats-Unis.

Michelle Obama a tenté en vain une analyse de texte deux jours plus tard, mais le mal était fait. « Ce que je voulais dire, c’était que j’étais frappée par le nombre de gens participant à des rassemblements et regardant les débats, ainsi que par les records de participation aux votes. Pour la première fois dans ma vie, j’ai vu des gens relever leurs manches de chemise comme je ne l’ai jamais vue … et c’est la source de fierté dont je parlais ».

Pas facile d’être femme de… quand on déclare ne pas aimer la politique. Le New York Times a décrite cette juriste, qui a étudié à Harvard, comme une personnalité obstinée, drôle, courageuse et parfois sarcastique, plus directe que son époux. Mais, selon le journal, son assurance et son humour mordant peuvent être parfois mal perçus. Elle avait donné l’impression d’être condescendante lors d’un gala à Atlanta avec des membres de la communauté noire, en expliquant la nécessité de réussir…à un groupe de personnes ayant réussi.

En 2004, l’épouse du candidat démocrate John Kerry, Teresa Heinz Kerry, avait multiplié les gaffes et l’équipe de campagne de son mari avait préféré la tenir à l’écart craignant les remarques trop directes et le caractère imprévisible de la richissime héritière de la fortune de son premier mari bâtie sur le ketchup. Teresa Kerry avait ainsi dit à un groupe de volontaires à Brooklyn organisant de l’aide pour des victimes d’un cyclone dans les Caraïbes qu’ils envoyaient trop de vêtements et pas assez de nourriture ou de générateurs. « Les vêtements, c’est merveilleux, mais laissez-les aller nus pendant quelque temps, au moins les enfants », avait-elle dit. Elle avait déclaré un autre jour à un journal local de Pennsylvanie que « seul un imbécile » ne soutiendrait pas le programme d’assurance santé de son mari. Elle avait dû aussi s’excuser pour avoir dit dans un entretien à USA Today qu’elle n’était pas sûre si la First Lady Laura Bush n’avait jamais eu « un vrai métier », oubliant que Mme Bush avait été bibliothécaire par le passé.

Côté républicain, les femmes de… sont plus effacées, les conservateurs étant apparemment moins friands de femmes indépendantes. Cela a l’avantage d’éviter les gaffes. Et pour l’instant, Cindy McCain, qui affirme ne pas s’intéresser à la politique, a évité les impairs pouvant nuire à la campagne de son époux John. Un peu comme en 2004, George W. Bush n’avait guère eu à s’inquiéter des éventuels faux-pas de la plus que réservée Laura Bush. Le New York Times estime toutefois que Cindy McCain semble moins réservée que lors de la campagne de 2000 (elle a notamment critiqué la politique de l’administration Bush en Irak) même si son rôle dans la campagne 2008 reste limité. Elle évite de prendre des positions politiques, de critiquer les autres candidats publiquement. « La chose la plus proche d’une contribution politique au site web de campagne de son époux est une recette pour le guacamole », selon le journal.

Quant à Bill Clinton, le mari de…. Hillary, s’il a fait des gaffes lors de cette campagne présidentielle, on ne peut pas dire que c’est par manque d’expérience politique.

jeudi 21 février 2008

Paroles, paroles

Enchaînant défaite après défaite ces dernières semaines face à son adversaire Barack Obama, Hillary Clinton n’avait guère d’autre choix que de tenter de le déstabiliser et de dégonfler l’Obamania qui l’entoure. Après 45 minutes de débat plutôt aimable, on commençait à se demander si on n’allait pas s’endormir. Mais l’attaque est venue, franche et directe, Hillary surfant sur « l’affaire du plagiat » qui embarrasse la campagne Obama depuis quelques jours.

Petit rappel de cette affaire. Obama a emprunté quasiment mot pour mot un passage d’un discours de Deval Patrick, aujourd’hui gouverneur du Massachusetts, alors que celui-ci faisait campagne en 2006. Lors d’un discours à Milwaukee (Wisconsin), Obama s’est emporté contre les attaques l’accusant de manier habilement une rhétorique vide de substance. « Ne me dites pas que les mots ne comptent pas! ‘J’ai fait un rêve’. Juste des mots. ‘Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont nés égaux’. Juste des mots. ‘Nous n’avons rien à craindre que la peur elle-même’. Juste des mots, juste des discours ! », s’est exclamé Barack en référence à des phrases célèbres de la Déclaration d’Indépendance, de Martin Luther King et du président Franklin Roosevelt. Le problème est que Deval Patrick a dit la même chose il y a près de deux ans et on peut le constater sur des vidéos postées sur YouTube. Gênée, la campagne Obama s’est défendue en disant que Barack et Deval Patrick étaient des amis, qu’ils discutaient régulièrement et échangeaient des idées. Mais cela n’a pas suffit à calmer la polémique.

Hillary Clinton s’est donc fait un plaisir de remuer le couteau dans la plaie jeudi soir: « Je pense que si ta candidature consiste seulement en des mots, alors ces mots devraient être les tiens…Extraire des passages entiers des discours de quelqu’un d’autre n’est pas le changement auquel on peut croire, c’est du changement qu’on peut photocopier ».

Et Clinton d’enfoncer le clou: “Si vous regardez sur YouTube ces vidéos, cela soulève des questions. Il n’y a pas de doute que tu es un orateur passionné et éloquent et je t’applaudis pour cela. Mais quand on regarde ce à quoi est confronté ce pays, nous avons besoin d’unifier le pays, mais nous devons le faire avec des objectifs précis. Ce n’est pas assez de dire ‘Rassemblons-nous’. Nous savons que nous allons avoir beaucoup de travail pour surmonter l’opposition de ceux qui ne veulent pas les changements nécessaires pour une couverture santé universelle ».

Embarrassé, Obama a tenté de minimiser l’affaire, en disant qu’il ne s’agissait que de « deux lignes dans un discours » alors qu’il en a prononcé des quantités ces deux dernières années. « Et dire que j’ai plagié … est stupide », a-t-il plaidé.

Alors, avec « c’est du changement qu’on peut photocopier », Clinton tient-elle l’expression qui dégonflera le phénomène Obama ? Rien n’est moins sûr, tant Barack semble planer dans les hautes sphères de la popularité.

En attendant, laissons-nous bercer par la chanson de Dalida et Alain Delon : " Paroles, paroles",

http://www.malhanga.com/musicafrancesa/dalida/paroles.htm

qui aurait pu servir à conclure ce débat entre les deux candidats démocrates

mercredi 20 février 2008

Fromage ou dessert?

Etes-vous plutôt substance ou bien élégance? C’est la question qui agite les démocrates américains actuellement. Mais comme pour la question, fromage ou dessert ?, beaucoup aimeraient répondre : les deux, si possible. Les partisans d’Hillary Clinton insistent sur cette distinction, leur favorite étant selon eux la candidate de la substance alors que son adversaire Barack Obama ne serait qu’élégance, vaine et creuse.

Ce débat rappelle celui qui avait opposé lors des primaires démocrates en 1984 l’ancien vice-président Walter Mondale (1977-1981) et le sénateur Gary Hart et qui est désormais résumé par l’expression devenue célèbre: « Where is the beef ? ». Face à son concurrent qui se déclarait le candidat des « idées nouvelles » (cela ne vous rappelle rien : « espoir », « Yes, we can », etc), Mondale avait détourné un slogan publicitaire de la chaîne de fast-food Wendy’s. Dans cette publicité trois femmes âgées inspectaient un hamburger d’une chaîne de fast- food concurrente et se demandaient où était la viande. Alors que cette campagne publicitaire était au sommet de son succès, Mondale s’était moqué de son adversaire, qui était alors en tête grâce à son slogan sur les « idées nouvelles », lors d’un débat télévisé. « Quand j’entends vos nouvelles idées, cela me rappelle cette publicité, ‘Où est le bœuf ?’ ».

La réaction de Mondale, qui était considéré comme le candidat des notables démocrates, un peu comme Hillary Clinton aujourd’hui, avait eu beaucoup de succès. Il avait finalement remporté les primaires démocrates, face à Hart. N’oubliant pas la phrase qui avait scellé son destin, Hart avait publié quelques années plus tard un livre, qu’il avait présenté à la presse…. entre deux tranches de pain.

Hillary Clinton espère avoir le destin de Walter Mondale dans la bataille des primaires face à Obama mais elle n’a pas encore trouvé l’expression qui pourrait retourner l’électorat démocrate contre lui. « Les discours ne mettent pas de la nourriture sur la table », a-t-elle dit récemment. Ou encore : « Je propose des solutions. Mon adversaire n’est que promesses ». Mais rien ne semble faire flancher l’Obamania. Le candidat républicain John McCain a été plus féroce à l’égard de celui qui pourrait être son adversaire : « Réconforter un pays seulement avec de la rhétorique au lieu d’idées solides et éprouvées… n’est pas une promesse d’espoir. C’est une platitude ».

Clinton ne souhaite certainement pas pousser la comparaison trop loin avec Mondale, qui avait finalement connu une défaite humiliante face à Ronald Reagan à l’élection présidentielle de novembre 1984. Il n’avait remporté que son Etat, le Minnesota, et le District de Columbia. Pendant la campagne, Mondale s’était interrogé sur l’âge de son adversaire (73 ans, alors que Mondale avait 56 ans) et sa capacité à mener un deuxième mandat de président. « Je ne ferai pas de l’âge un argument dans cette champagne. Je ne vais pas exploiter, à des fins politiques, la jeunesse et l’inexpérience de mon adversaire », avait rétorqué Reagan lors du dernier débat entre les deux candidats.

Une leçon certainement à tirer pour Hillary Clinton ou Barack Obama dans l’affrontement à venir contre le républicain John McCain, qui aura 72 ans en août.

mardi 19 février 2008

Le péril rouge

Il y a des gens qui aiment constituer des listes. David Horowitz en fait partie. Ce militant conservateur consacre son temps à dénoncer ceux et celles qu’il considère comme de dangereux gauchistes. Il a créé il y a quelques années un site web intitulé Discover the Networks (Découvrez les réseaux), www.discoverthenetworks.org , « un guide sur la gauche politique », une base de données qui comprend aussi bien des fiches sur Yasser Arafat, Oussama ben Laden, Saddam Hussein, Kim Jong Il que sur les candidats démocrates à la présidentielle de 2008 Barack Obama ou Hillary Clinton…. En tout plus de 1200 biographies de « dangereux individus », connus ou moins connus.

Les défenseurs des droits des animaux sont stigmatisés aux côtés des anti-Israël, des anti-Patriot Act (la loi sécuritaire adoptée après les attentats du 11 septembre 2001), des anti-guerre, du lobby arabe, des défenseurs des libertés individuelles, des militants de l’environnement, des féministes, des militants des droits de l’Homme, de la gauche religieuse, des syndicalistes, des terroristes. Le site propose une rubrique « les monstres de gauche », dans laquelle on retrouve Joseph Staline, Mao, Kim Jong Il, Pol Pot, Yasser Arafat, etc…, il y a aussi le « club des millionnaires de gauche » comprenant l’ancien vice-président Al Gore, le financier George Soros. Parmi les people, les chanteurs Bruce Springsteen et Barbra Streisand, les actrices Jane Fonda et Susan Sarandon sont pointés du doigt.

« C’est la première tentative sur le web de définir la gauche et cartographier les réseaux des fondateurs, des organisations et des individus, avec leurs programmes», affirme David Horowitz. “Ces extrémistes … considèrent l’Amérique comme la puissance impérialiste numéro une et la garante de la propriété privée au niveau mondial. C’est la raison pour laquelle nous avons inclus des extrémistes islamistes aux côtés d’extrémistes américains qui partagent une attitude commune à l’égard de l’Amérique considérée comme le « Grand Satan » et Israël comme le « Petit Satan ». Bien sûr tous les individus dans cette base de données ne sont pas des extrémistes et tous ne partagent pas un ordre du jour anti-américain », prévient le site.

L’habileté de Discover the Networks est de fournir des fiches informatives et factuelles. Celle concernant Ben Laden surprend même par sa sobriété. Pour résumé, il est décrit comme « le fondateur du groupe terroriste Al-Qaïda », « lié à de nombreuses attaques terroristes à travers le monde, dont le 11-Septembre ». « Personne n’a affirmé qu’un des portraits est inexact », a déclaré Horowitz peu de temps après avoir lancé son site. Selon lui, les inexactitudes sont corrigées quand elles sont signalées.

L’essentiel au fond est de créer un lien, même factice, entre toutes ces personnes et alimenter la grande paranoïa du péril rouge chez les plus conservateurs.

Tout cela a donc un petit parfum de maccarthisme, la campagne hystérique menée dans les années 1950 par le sénateur Joseph McCarthy contre tous ceux qu’il soupçonnait d’être communiste ou de sympathiser avec les communistes.

A l’inverse Discover the Networks a de quoi conforter la paranoïa de certains responsables démocrates, telle Hillary Clinton, qui en 1998 pour défendre son mari Bill empêtré dans le scandale Monica Lewinsky, avait considéré que tout ceci n’était qu’un « énorme complot de la droite ».

dimanche 17 février 2008

Mitt mon amour

Comme dans les meilleurs romans à l’eau de rose, l’amour triomphe toujours en politique. Après des mois d’affrontements parfois acrimonieux, Mitt Romney-le-vaincu et John McCain-imperator se sont réconciliés devant les caméras jeudi, le premier apportant officiellement son soutien au second dans la course à la Maison Blanche. On en aurait eu presque la larme à l’œil, car franchement, on n’avait rien remarqué d’une telle tendresse mutuelle entre les deux candidats républicains.

“Nous avons toujours bien ri ensemble, notamment quand nous nous trouvions côte à côte. On parlait de choses amusantes. On se serrait la main. Nous disions bonjour à nos épouses respectives. Nous avions une bonne relation personnelle et du respect l’un pour l’autre”, a assuré Mitt Romney. Et quand on fait allégeance, on ne peut pas le faire à moitié : « Même quand la compétition était serrée et que nos désaccords étaient l’objet de discussions, l’envergure de l’homme était évidente », a ajouté le vaincu. Il a certainement bien avalé sa salive avant de dire cela.

McCain n’a pas eu besoin d’en faire autant : « Je lui suis reconnaissant d’avoir mené une campagne dure et franchement une campagne qui m’a aidé à devenir un meilleur candidat non seulement dans les primaires mais aussi pour l’élection générale ». Message limpide : Mitt, tu as vraiment été trop mauvais, merci beaucoup.

Les deux hommes n’ont pas toujours eu ,des mots aussi tendres. Selon la presse américaine, McCain et Romney se détestaient. Romney accusait McCain de ne pas être un vrai conservateur et de faire partie de la clique de Washington responsable, selon lui, de tous les problèmes. McCain à l’inverse accusait Romney d’avoir changé d’avis sur plusieurs sujets par opportunisme. L’un des grands moments de cette animosité a été le débat entre candidats républicains en Californie fin janvier, où McCain a laissé Romney exsangue.

Quelques échanges saignants

Acte 1
Romney attaque : les idées de McCain « sont éloignées de la pensée majoritaire républicaine conservatrice. Et j’ai aussi noté que vous avez été soutenu officiellement par le New York Times, ce qui veut dire que vous n’êtes probablement pas un conservateur ».
McCain répond : « Laissez moi souligner que j’ai été soutenu officiellement par deux journaux de votre ville, dont le très conservateur Boston Herald ».

Acte 2
McCain contre-attaque : « Son bilan de gouverneur (Romney a été gouverneur du Massachusetts) a été d’augmenter les impôts de 730 millions de dollars. Il a appelé cela des « frais ». Je suis sûr que les gens qui ont dû les payer, même s’ils les ont appelé bananes, ils ont dût les payer ces 730 millions dollars supplémentaires »

Acte 3
McCain enfonce le clou et accuse Romney d’avoir soutenu l’établissement d’un calendrier de retrait des troupes américaines d’Irak.
Romney : “Je n’ai jamais soutenu un calendrier spécifique de retrait d’Irak.. . C’est faux ».
McCain froidement : “Bien sûr qu’il a dit qu’il voulait un calendrier”.
Romney désorienté : « Comment pouvez-vous être l’expert de ma position, quand ma position a été très claire ? ».
McCain, impérial : « Je suis l’expert en la matière ».

Heureusement que les deux candidats disaient bonjour à leurs épouses respectives pour confirmer qu’ils étaient en fait des amis parce qu’avec de tels débats, c’était difficile à voir.

En attendant, les démocrates Barack Obama et Hillary Clinton sont toujours en train de s’écharper. Les républicains eux en ont bientôt fini avec le processus de sélection de leur candidat. La dynastie Bush a choisi d’adouber le très grand favori McCain, qui ne devrait plus en avoir pour longtemps avant d’achever Mike Huckabee-l’homme-ne-descend-pas-du-singe. Le frère du président W., Jeb Bush, ancien gouverneur de Floride, a apporté son soutien à McCain et Bush père devait le faire lundi.

Il ne restera plus que le président George W. Mais McCain souhaite-t-il une telle onction ?

vendredi 15 février 2008

L'INVITE DU JOUR

Un lundi avec Obama
Par Blaise Chevrolet (journaliste)

Sans Alheli, l’Américaine de la famille, nous n’aurions pas pu voir le « phénomène », en chair et enos. A notre arrivée à l’Université du Maryland, une queue interminable s’étendait sur le campus. Un coup de froid au propre et au figuré. Selon la radio, écoutée au long de notre périple sur la « beltway », le vent vivifiant du nord laissait sur la région de Washington une sensation thermique de -8 degrés Fahrenheit. Au bout de quatre ans aux Etats-Unis, j’ignore encore comment faire la conversion en Celsius. Je sais, en revanche, qu’il est inhumain de laisser dehors par un froid pareil un enfant de deux ans comme ma fille, à peine remise, de surcroît, d’un méchant virus hivernal. Le bonnet rouge et blanc que je viens de lui enfiler n’a qu’une seule vertu : porter les couleurs des Terapins, le nom de guerre des équipes sportives de l’Université du Maryland. En français : des espèces de « tortues », si j’en crois leur emblème.

Au loin, les tribunes du stade de football américain de l’université me rappellent ma première grippe de la saison, attrapée ici-même en novembre, lors d’un match entre les « Terps » et « Boston College ». Quatre heures au froid, un samedi soir, au milieu de 55.000 spectateurs, pour goûter l’expérience américaine d’un match universitaire.

Sous le même prétexte de comprendre l’Amérique sans passer par les filtres des TV, j’ai repris lundi la route de College Park, entraînant Alheli dans mon sillage. J’avais pris le soin de réserver une place sur l’Internet, comme le recommandaient les organisateurs, remplissant scrupuleusement un formulaire avec mes coordonnées. A mon arrivée, je déchante. Ma réservation ne sert à rien. Je suis tenté de jeter l’éponge en découvrant les longs kilomètres d’attente, de rentrer à la maison pour suivre le discours sur CNN, comme au boulot.

Et puis, le déclic. Je me rappelle que je suis auxEtats-Unis, m’imagine que les portes du stade de basket doivent encore être fermées, à moins d’une demi-heure du meeting, pour de traditionnelles et fastidieuses raisons de sécurité. J’arrive très vite àla conclusion que les 16.000 places du Comcast Center se rempliront en quelques minutes, que nous pourrons tous y prendre place. Je refuse de capituler si près du but, après m’être farci plus d’une heure de bouchon pour accéder au campus. Au bout de quatre ans à Washington, je suis manifestement sous l’influence de l’optimisme ambiant. Et ça marche ! J’en suis le premier étonné. Car nous sommes effectivement aux Etats-Unis.

Un policier me voit remonter la queue avec ma fille dans les bras. « Les parents avec enfant, par là », hurle-t-il, sur l’habituel ton autoritaire des forces de l’ordre américaines. Je les suis, ses ordres, sans broncher. Au loin, une jeune blonde me fait un signe de la main. Elle me tient la porte. « Thank you forcoming. Oh, she’s so cute », dit-elle en faisant bonjour de la main à Alheli. Après cet accueil chaleureux, le service d’ordre nous prend en main. Nous nous soumettons tous les deux à l’épreuve des détecteurs de métaux. Nous passons le test. La voie est libre. Je presse le pas. Nous n’avons que vingt minutes pour trouver une bonne place.

Comme je l’avais imaginé, le stade est pratiquement vide. Les seuls gradins remplis sont ceux juste derrière la scène, où sont logés les visages représentatifs de l’Amérique qui apparaîtront en toile de fond, sur les images télévisées. Mes voisins immédiats sont enthousiastes. Ils ne pouvaient rêver de meilleures places, se vantent d’avoir campé depuis 8h30 devant les portes du bâtiment. Je n’ose pas leur avouer que je suis entré en moins de dix minutes, aussi vite que mes collègues journalistes déjà installés sur la moitié du terrain de basket, derrière les caméras de télévision, placées dans le rond central. Je me sens honteux d’être passé devant des milliers de personnes. Je ne suis pas Américain. Je n’ai pas le droit de vote. Je me demande si j’ai bienfait d’entraîner Alheli avec moi. Juste devant moi, un jeune couple blanc soulage ma conscience. Ils sont venus avec un nourrisson de quelques mois à peine, qui dort à poings fermés, malgré le vacarme.

Les gens entrent au compte-goutte. Je les observe. Jesuis entouré de nombreux afro-américains, comme on ditdans le langage politiquement correct de Washington.Ils démentent les propos de Toni Morrison, Prix Nobelde Littérature, si souvent rapportés par la presse cesderniers mois. Non, Bill Clinton n’était manifestement pas le premier président noir. Comme pour me donner raison, une fille d’une trentaine d’années arbore fièrement sur ma gauche un T-shirt avec le visage de Martin Luther King. Son slogan : « Le rêve est toujours vivant ».

Oui, une grande partie du public est noir. Beaucoup de jeunes sont là aussi, comme l’a rapporté la presse depuis le début des primaires. Des hispaniques se sont également mêlés à la fête, scandant la version espagnole du slogan en trois mots de la campagne : «Si, se puede ». Quelques filles voilées font leur apparition. Dans les gradins, j’entends parler d’autres langues que l’anglais ou l’espagnol. J’en déduis que les nouveaux Américains sont séduits par le message de « changement ». A moins que d’autres comme moi n’aient usurpé le siège d’un électeur potentiel. Serions-nous à l’origine des erreurs à répétition des sondages ?

Le meeting a déjà une bonne heure de retard. Le stade est à moitié vide. Une dame passe sous nos yeux avec un plateau de nachos. Alheli bondit immédiatement. Elle exige à manger, elle aussi. Mes voisines se proposent de garder notre siège. Nous pouvons nous absenter tranquillement pendant une demi-heure.

A ma surprise, les restos du stade sont tous ouverts, comme lors des matchs de basket. Les prix sont tout aussi élevés. Un « hot dog » à la main gauche, un paquet de chips à la droite, Alheli revient à sa place triomphante. Elle refuse obstinément de partager avec la voisine qui finit par craquer une heure plus tard et revient avec des « chicken fingers », aussi traditionnels que grassouillets.

Sur scène, un DJ se charge de chauffer l’ambiance, en alternant du reggae et de la soul. Il répète plusieurs fois le morceau « Hold on, I’m coming » de Sam & Dave, (Note du traducteur : « Attends, j’arrive », une interprétation plus osée serait déplacée), pour faire patienter ceux qui ont sacrifié leur lundi pour ce qui ressemble de plus en plus, à mes yeux, à un spectacle, à de l’ « entertainment » comme disent les Américains.

Oui, je l’avoue, j’ai soudain l’impression d’attendre un « one-man-show » de la « star » du moment, celui qui fait toutes les « unes » des journaux, celui qui passe en boucle à la TV, celui dont le nom est sur toutes les lèvres. Peut-être suis-je sous influence sportive du lieu, à moins que mes origines ne m’empêchent de sentir vraiment l’événement. Peu importe. Mon opinion est renforcée parl’interprétation de l’hymne américain près de deux heures après notre arrivée, comme avant toutes les compétitions sportives du pays. Le public se permet même de marquer le « o » du second « O Say », en suivant l’exemple des fans de l’équipe de baseball des O’s, les Orioles de la voisine Baltimore.

Alheli a pratiquement terminé son paquet de chips quand un jeune étudiant apparaît sur scène. Il porte un t-shirt de l’équipe de l’Université. Son slogan : «Crains la tortue ». Tout un programme. Je fais le parallèle avec le drapeau américain qu’arborent certaines voitures avec le même slogan. Probablement des républicains de Virginie. Ici, entre démocrates du Maryland, c’est la tortue qu’il faut redouter. Un message qui doit faire trembler sur ses pattes le vieux parti et ses dinosaures comme McCain.

L’étudiant se charge de rappeler au public de voter mardi lors des primaires, de répéter certains slogans pour préparer le spectacle. Au milieu des jeunes debout devant la scène, dans la zone réservée au «pogo » dans les concerts de ma jeunesse, un personnage plus âgé se distingue en agitant les bras. Il prépare la foule à applaudir au bon moment. Le Comcast Center n’est toujours pas plein. Les gradins derrière le panier de l’équipe adverse sont encore déserts.

Comme lors des mauvais matchs de « soccer » en Europe, le public commence à faire la « ola » pour passer le temps, donnant une légère touche hispanique auspectacle. La « Macarena » de la campagne de 1996, c’est vrai, est aujourd’hui ringarde, si j’en crois les difficultés électorales de celle qui se trémoussait alors aux côtés de son mari.

Soudain, le DJ passe au rap. L’ambiance monte. Sur scène, apparaît Antwan Glover, une des vedettes de The Wire, une série policière tournée dans l’inévitable Baltimore. Les organisateurs commencent à s’agiter. Derrière la scène, ils distribuent, auprès del’échantillon représentatif de la population américaine, des pancartes écrites à la main, pourqu’elles soient bien en vue à la TV. Il était strictement interdit d’en prendre au stade, selon le site internet que j’ai consulté. Pour des raisons de sécurité, sans doute. Une manière efficace d’éviter des surprises désagréables devant l’œil inquisiteur des caméras et de l’adversaire. Le public s’impatiente. Les grands écrans diffusent unclip :

http://www.dipdive.com/

Quand Barack Obama fait enfin son apparition sur scène, le Comcast Center est plein. Il est une heure de l’après-midi. Avec Alheli, nous avons patienté trois heures dans les gradins, bien au chaud, c’est vrai. Le candidat démocrate arrive de la voisine Virginie. Celui qui pourrait devenir le premier président noir des Etats-Unis a manifestement pris son temps pour traverser la « Mason-Dixon Lane », la frontière qui séparait le sud du nord au temps de la Guerre de sécession.

Ses premiers mots : « Bonjour les tortues ». Il y a quatre ans, je n’en aurais pas cru mes oreilles. Aujourd’hui, je me sens renforcé dans mes convictions. Le sport est bien le meilleur moyen d’ouvrir une conversation avec un Américain, surtout si l’on souhaite aborder par la suite des questions politiques avec lui.

Obama présente un « show » de 45 minutes, « roadé » pendant plus d’une année sur les routes desEtats-Unis, suis-je tenté de dire, assumant le risque de maltraiter la langue française. Il promet de mettre un terme à la guerre en Irak en 2009, de fermer Guantanamo et cesser de torturer les prisonniers. Comme diraient les Québécois, « c’est de la musique àmes oreilles ». Il cite même JFK au passage, pouralimenter les comparaisons lors des longues soiréesélectorales à venir. Le public est debout, l’applaudit à tout rompre. « Vous pouvez vous asseoir », dit-il, comme à l’église.

Obama nous confesse sa tâche, plutôt ambitieuse, ma foi. Il se propose non seulement de changer lesEtats-Unis, mais le monde tout entier. Il promet de lutter contre le réchauffement de la planète, d’exiger des voitures moins polluantes, se vante d’avoir tenuce même discours à Detroit devant l’industrie automobile. « Il n’y a pas eu le moindre applaudissement », dit-il fièrement, dans une pose àla Julio Iglesias, le micro dans la main gauche tendu vers le haut, la main droite sur le ventre.

Ses plus grandes ovations, il les obtient en parlant de l’économie, en promettant d’indexer le Smic sur l’inflation ou en dénonçant qu’un PDG gagne en dixminutes le salaire mensuel de la plupart desAméricains. Alheli applaudit à tout rompre celui qui pourrait être son prochain président. Elle seretourne, prends mes deux mains et m’oblige à mon tour à applaudir. Quelques instants plus tard, dès qu’elle retrouve son siège auto, ma fille s’endort immédiatement, malgré laradio, la 107.3, « The best of everything », qui diffuse une pub d’Obama toutes les quinze minutes.

Au volant, j’estime à près d’une heure le temps nécessaire pour sortir du parking au rythme des tortues du lieu. Je n’ai pas beaucoup de marge pourarriver à l’école à temps et récupérer Malena. J’essaie d’avancer, de m’intercaler. Je me retrouvecoincé par une Cadillac Escalade, le véhiculemonstrueux de Tony Soprano dans la dernière saison dela série. J’essaie de faire des signes aimables pour manifester ma présence à travers les vitres teintés. Rien. Encerclé par des 4x4, mon naturel européen revient au galop, comme la septième cavalerie dans leswesterns. Je donne un coup de claxon. Rien à faire. J’enrage, je m’en prends à Obama dans l’intimité de maFord Focus: « Barack, si tu veux changer le monde,commence par chez toi ».

Dès que j’en aurai l’occasion, je le lui donnerai ce conseil. Depuis lundi, j’ai une relation privilégiée avec le futur président. Mardi matin, j’avais un email dans ma boîte me rappelant que je devais remplir monde voir, m’indiquant le bureau de vote le plus proche de chez moi. Quelques heures plus tard, une dame très aimable m’a appelé par téléphone. Aujourd’hui, Barack, en personne, m’a écrit pour me remercier.

jeudi 14 février 2008

En attendant le Nobel

Al Gore se fait désirer. Le Prix Nobel de la paix 2007 et ancien vice-président américain n’a pas encore apporté de soutien officiel à Barack Obama ou à Hillary Clinton et celui qu’on imaginait encore il y a un an comme un éventuel candidat pour la présidentielle de 2008 reste en retrait dans ces primaires entre démocrates. Peut-être est-il encore échaudé par son soutien en 2003 à Howard Dean, qui finalement s’était écroulé lors des primaires face à John Kerry. Un peu embarrassant pour un ancien vice-président.

L’oracle environnemental multi-fuseaux horaires a fait une sortie il y a un mois sur le mariage homosexuel mais personne n’a très bien compris pourquoi il faisait cette déclaration à ce moment-là de la campagne. Il est apparu en tenue décontractée dans une vidéo d’une minute postée sur le site web de sa chaîne de télévision Current TV pour déclarer que le mariage gay devrait être légal. « Je pense que le gouvernement a tort de faire une différence entre les gens en raison de leur orientation sexuelle. Je pense que les hommes et femmes homosexuels devraient avoir les mêmes droits que les hommes et femmes hétérosexuels ». Les experts de la pensée gorienne se sont perdus en conjectures. Cette déclaration est-elle une manière de peser dans la campagne alors qu’Obama et Clinton ne soutiennent pas le mariage gay mais affirment préférer se concentrer sur l’égalité des droits ? Ou alors, veut-il polir un peu plus sa statue de Commandeur et montrer que, retiré de la politique politicienne, il ne s’intéresse qu’aux sujets de fond ?

Washington bruit de rumeurs sur le choix que fera Al Gore. Auteur d’un blog politique, The Washington Note, Steve Clemons, affirmait il y a une semaine, que selon « le conjoint bien placé d’un proche de la campagne Clinton… une rumeur se propage comme un feu de broussailles qu’Al Gore va apporter son soutien à Barack Obama ». Pas très convaincant et au niveau de la source, cela laisse un peu à désirer.

Al Gore va-t-il nous réserver une surprise, un effet dramatique façon Maria Shriver, l’épouse du gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger venue proclamer en tenue d’équitation son soutien à Barack Obama lors d’un meeting de l’épouse du candidat à Los Angeles ? Maria Shriver a expliqué avoir eu une révélation à la dernière minute qu’il fallait qu’elle soit à ce meeting. « J’étais à un concours hippique… c’est pourquoi je suis habillée comme cela, que je ne suis pas coiffée, ni maquillée ». Quoi ? Pas maquillée ? Quel courage ! C’est sûr, c’est l’effet Obama.

La sphère démocrate attend également la décision de John Edwards, qui a abandonné la course à la Maison Blanche il y a quelques semaines. Hillary Clinton et Barack Obama tentent d’emporter le morceau, cela est d’autant plus important qu’Edwards dispose d’un petit nombre de délégués qui pourraient être cruciaux dans l’affrontement. Hillary Clinton a fait une visite secrète la semaine dernière au domicile d’Edwards à Chapel Hill en Caroline du Nord. Barack Obama a prévu également de faire le pèlerinage mais une visite prévue le 11 février a finalement été reportée.

Peut-être beaucoup de bruit pour rien. Le soutien à Barack Obama de Ted Kennedy et de Caroline Kennedy, le frère et la fille du président assassiné JFK, n’a pas eu le résultat escompté dans le Massachusetts. C’est Hillary Clinton qui a gagné dans cet Etat.

mardi 12 février 2008

Le Messie

Quelle ferveur ! Va-t-il changer l’eau en vin, multiplier les pains et guérir les paralytiques. A entendre certains supporters de Barack Obama, on a le sentiment que tout est possible, que la paix dans le monde est pour bientôt, que les méchants politiciens vont disparaître et qu’on va tous être d’accord sur tout.

« Yes, we can » (Oui, nous le pouvons), scandent, telle une mélopée aux accents religieux, quelques pipole d’Hollywood dans une vidéo pro-Obama vue plus de 3 millions de fois sur YouTube. Je ne peux avoir l’air pisse-vinaigre, mais nous pouvons quoi ? On attend les réponses. La campagne Obama pourrait aussi essayer : « Prenons-nous la main, aimons-nous les uns les autres », mais là il y aurait plagiat. C’est Ségolène Royal qui l’a dit lors d’un meeting en fin de campagne, lors de la présidentielle en France l’an dernier. Le paradoxe dans cette atmosphère quasi-religieuse qui entoure le candidat, c’est qu’Obama a notamment du succès auprès des gens qui ne revendiquent aucune religion.

L’équipe de campagne d’Obama, qui ne cesse d’appeler à « une manière de faire la politique différemment », joue de cette adoration. Dans un tract distribué à Washington, le candidat apparaît comme en état de lévitation au-dessus d’une foule alors qu’une lumière l’entoure d’un halo quasi divin.

Il y a quelques jours, Paul Krugman, éditorialiste au le New York Times, s’est inquiété de ce que « la campagne Obama semble dangereusement s’approcher d’un culte de la personnalité », ce qui a suscité des réactions énervées des supporters d’Obama jugeant cette affirmation sans fondement.

Pour se moquer, le site d’information en ligne Slate.com avait créé il y a un an « L’Observatoire du Messie Obama » pour « examiner les preuves qu’Obama est le fils de Dieu ». « Barack Obama est-il le deuxième retour de notre Sauveur et Rédempteur, le Prince de la paix et le Roi des Rois, Jésus Christ ? », s’interrogeait l’auteur Timothy Noah. Il s’était donné pour objectif de relever dans les médias les signes d’adoration à l’égard du candidat. Il cite ainsi le magazine Rolling Stones : “C’est début janvier, quelques semaines avant qu’Obama se prépare à annoncer sa campagne pour la présidence. Il est assis dans son bureau au Sénat, balançant une jambe sur l’autre genou et parlant très, très lentement. Obama ne cherche pas seulement le mot juste, cette recherche semble l’emmener dans des mondes reculés ». Il ironise aussi sur un article paru l’automne dernier sur le site d’information en ligne Salon.com : « Paul Tewes, coordinateur d’Obama dans l’Iowa s’émerveille : « C’est quelque chose que je n’ai jamais vu auparavant en politique. Après que les gens l’ont entendu parler, ils disent qu’ils se sentent en paix ». Mais, depuis septembre, « L’Observatoire du Messie Obama » a apparemment cessé d’observer. Dommage.

En attendant, on se demande quand on va redescendre enfin sur Terre et entendre des choses plus concrètes de la part du candidat. Les conservateurs sont tapis dans leur coin et attendent le bon moment pour frapper. Un film anti-Obama est en cours de réalisation par un groupe conservateur, Citizens United, qui a déjà produit un film sur Hillary Clinton. Le groupe a prévu 1 million de dollars pour produire ce documentaire qui doit sortir cet été. L’objectif est de fouiller dans le passé politique d’Obama. Jésus Christ va-t-il soudain redevenir humain ?

lundi 11 février 2008

La théorie du supermarché

Dis-moi où tu fais tes courses, je te dirai pour qui tu votes. C’est la théorie du supermarché, développée récemment par un éditorialiste du New York Times, David Brooks. La conclusion est qu’Hillary Clinton est Safeway et Barack Obama est Whole Foods. Pour nos lecteurs n’ayant jamais vécu aux Etats-Unis, Safeway et Whole Foods sont deux groupes de grande distribution, mais attention, ils sont vraiment différents. Et vous vous en apercevrez après être passés à la caisse.

Selon David Brooks, Safeway se contente de fournir des produits alors que Whole Foods apporte en plus une sensation. Dans cette course acharnée entre démocrates pour conquérir la Maison Blanche, ajoute-t-il, Hillary Clinton est comme Safeway, elle a de bons programmes à de bons prix et c’est pour cela qu’elle a du succès auprès des plus modestes, ceux qui n’ont pas fait d’études universitaires. Barack Obama en revanche attire les plus éduqués. Comme Whole Foods (spécialisé dans les produits bio), il leur offre un supplément d’âme, il leur offre l’espoir et la fin du cynisme en politique. Les moins éduqués parlent de lutte au quotidien et se reconnaissent dans le combat d’Hillary, les plus éduqués parlent d’épanouissement personnel et sont en état de ravissement devant Obama. La lutte des classes est de retour.

A Washington, dans le quartier de Dupont Circle, le Safeway est surnommé le « Soviet Safeway », ce qui vous donne une petite indication sur le caractère attractif de l’endroit. La direction du supermarché a fait pourtant des efforts de décoration il y a un an ou deux ans, mais l’éclairage au néon, la décoration bas de gamme et le personnel perpétuellement las rendent l’endroit toujours assez rébarbatif. La section traiteur est particulièrement indigente. C’est le genre de supermarché, quand vous en ressortez, vous n’avez plus faim.

Quelques rues plus loin, Whole Foods brille de toutes ses lumières. Les caissiers et caissières sont jeunes, souriants et dynamiques… cela permet de faire passer la note, particulièrement salée. Le supermarché abonde de fromages européens, de poissons, de fruits exotiques, de viandes à la découpe. La section traiteur propose une infinité de petits plats, plus appétissants les uns que les autres. Il y a aussi un bar à sushis pour ceux qui veulent manger sur place, tout en gardant la ligne. La clientèle est composée en majorité de trentenaires habillés à la mode.

La frontière entre Safeway et Whole Foods n’est toutefois pas complètement étanche. Certains clients de Whole Foods viennent aussi faire une partie de leurs courses à Safeway (pour soulager leur porte-monnaie, certainement). Quelle conclusion en tirer politiquement ? Cela pourrait-il augurer un ticket Clinton-Obama ou Obama-Clinton (le couple président et vice-président) ? La réponse dans quelques semaines.

samedi 9 février 2008

Bill fait pschitt

Mais où est passé Bill? Il y a un mois, il faisait les titres des journaux américains qui le décrivaient comme le pit-bull de son épouse Hillary Clinton, dans sa lutte acharnée contre Barack Obama pour conquérir la Maison Blanche. Il multipliait les attaques et le spectre Billary était de retour : un couple soudé par des années de combat politique et déterminé à présider à nouveau ensemble aux destinées des Américains. Bill affirmait à la veille de la primaire du New Hampshire en janvier que l’opposition d’Obama à la guerre en Irak était « un conte de fée » puis déclarait que la victoire d’Obama en Caroline du Sud était comme celle de Jesse Jackson il y a vingt ans, suggérant qu’il ne s’agissait que d’une candidature ethnique. Mais les attaques du pit-bull, en particulier en Caroline du Sud, n’ont fait que renforcer Barack Obama, au lieu de l’affaiblir.

Surprise, il y a quelques jours, les dents du pit-bull ont été limées et il est apparu tout doux. « Je pense que l’erreur que j’ai faite est de penser que j’étais un conjoint comme autre qui pouvait défendre sa candidate… Je pense que je peux faire la promotion d’Hillary mais je ne peux pas la défendre parce que j’ai été président. Je dois la laisser se défendre elle-même ou laisser quelqu’un d’autre la défendre », a-t-il sagement expliqué à une chaîne de télévision locale, filiale de NBC, tirant un trait sur le rôle que lui a fait jouer l’équipe de campagne de son épouse. « Je n’ai jamais critiqué le sénateur Obama personnellement en Caroline du Sud… Mais je pense que quand je la défend, 1/ je risque d’être cité de manière inexacte et 2/ je risque de susciter l’attention. Je ne veux pas susciter l’attention ». A l’attention de ceux qui s’inquiétaient qu’on soit obligé de rajouter un deuxième fauteuil dans le Bureau ovale à la Maison Blanche, il a compris qu’il fallait clarifier les choses. Hillary a dû aussi être claire sur le sujet : « Dans ma Maison Blanche, on saura qui porte le tailleur-pantalon ». Et Bill de confirmer : « Je ferai ce qu’on me dit de faire. Je ne serai pas dans le gouvernement…. Je n’interférerai pas en quoique ce soit dans le travail d’un vice-président fort, d’un secrétaire d’Etat fort, d’un secrétaire au Trésor fort». Ce n’est plus un pit-bull mais un gentil gros toutou.

Mais si la controverse a cessé avec un Clinton, une autre est apparue avec un autre membre de la famille. Cette fois-ci, c’est la fille, Chelsea. Les commentaires d’un journaliste de la chaîne de télévision MSNBC, Davis Schuster, ont déclenché une controverse. Agacé que la fille de la candidate refuse de parler à la presse, alors qu’elle est impliquée de manière active dans la campagne de sa mère, il s’est interrogé : « Chelsea n’est-elle pas poussé en quelque sorte à faire la pute? » (l’expression "being pimped out" vient de pimp qui veut dire maquereau. Si vous avez une meilleure traduction, envoyez-moi vos suggestions). Cris d’orfraie de la campagne Clinton, exigeant des excuses. Excuses du journaliste, qui est suspendu d’antenne par la chaîne.

On attend la prochaine controverse.

jeudi 7 février 2008

Pourquoi tant de haine?

Dans cette campagne présidentielle américaine, le plus troublant est le déchaînement de haine que suscitent certains candidats, en particulier la démocrate Hillary Clinton et le républicain John McCain.

Le forum internet conservateur Free Republic a ainsi recensé plus de 200 sites web anti-Hillary, dont Hillaryhaters.com, où les « haïsseurs d’Hillary se rencontrent » (le site en fait est vierge et le nombre de visites s’élève à une cinquantaine de visites pour l’instant, ce qui est mal parti pour créer un grand mouvement à travers les Etats-Unis pour stopper la candidate). On trouve aussi en vente sur le net des t-shirt sur lesquels est inscrit « Hillary hater » (Haïsseur d’Hillary), « Hillary est le diable », ou encore « Arrêter la garce ».

Mais qui sont ces haïsseurs d’Hillary ? On les rencontre surtout chez les républicains mais aussi de plus en plus chez les démocrates, alors que Hillary Clinton et Barack Obama sont à couteaux tirés dans la course aux primaires.

L’influente éditorialiste de gauche Maureen Dowd, qui écrit dans le New York Times, semble tellement détester Hillary que ses éditoriaux virent au règlement de comptes personnel. Dans son dernier éditorial « Ombre et lumière », elle ne fait pas dans la dentelle. « Hillary Clinton a décrit Dick Cheney en Darth Vader (cf le très très méchant dans le film La guerre des étoiles), mais elle n’a pas intégré l’ultime leçon du vice-président destructeur : ne deviens pas paranoïaque au point de te laisser submergé par une vision noire… Bill est aussi animé par une paranoïa à la Cheney ». Selon Dowd, si Barack Obama veut devenir président « il doit encore tuer le dragon. Et son dragon est la machine à attaquer Clinton, qui continue à cracher des flammes mêle si elle n’apparaît plus invincible ».

Le magazine GQ a publié un article en janvier consacré à “Ceux qui détestent Hillary ». Le journaliste Jason Horowitz est parti à leur rencontre. Sa conclusion : « que détestent-ils exactement la concernant ?... même eux ne savent plus ». « La recherche d’une théorie qui rassemble les adversaires les plus fanatiques d’Hillary est inutile. Les accusations de ceux qui la haïssent finalement en disent plus sur eux-mêmes que sur l’objet de leur colère », ajoute le magazine. Stanley Fish, professeur de droit, a publié cette semaine un point de vue dans le New York Times s’inquiétant de ce déchaînement de haine contre Hillary Clinton, intitulé “Tout ce qu’il vous faut, c’est haïr ». Selon lui, « l’analogie la plus proche est l’antisémitisme », même s’il tient à ne pas mettre les deux phénomènes sur le même plan. « L’antisémitisme n’a pas besoin de juifs et l’antihillarysme n’a pas besoin d’Hillary, si ce n’est pour alimenter l’ imagination collective ».

Du côté des républicains, le déchaînement des passions vise John McCain, mais il est sans commune mesure avec le mouvement anti-Hillary. L’influent animateur de radio conservateur Rush Limbaugh, dont l’émission est diffusée sur 600 stations de radio à travers les Etats-Unis, ne cesse ces derniers temps d’attaquer le candidat, affirmant qu’il n’est pas assez conservateur. James Dobson, l’influent fondateur d’une organisation évangélique conservatrice Focus on the Family, a déclaré également qu’il ne voterait pas pour McCain s’il était le candidat des républicains : “Je suis convaincu que le sénateur McCain n’est pas un conservateur”. Limbaugh a accusé l’équipe de campagne de McCain d’être « malhonnête », et « d’avoir recours au même genre de tactiques que Hillary Clinton ».

Les attaques de Limbaugh contre McCain ne datent pas d’aujourd’hui. Par le passé, l’animateur a affirmé que McCain, qu’il appelle « Saint John d’Arizona » (l’Etat dont McCain est sénateur), avait « admis que la torture avait marché contre lui » pendant les cinq ans où il a été prisonnier des Vietnamiens, quelque chose que McCain n’a pas dit. Ces affirmations sont intervenues au moment d’un débat sur le torture aux Etats-Unis et alors que McCain répétait que la torture ne permettait pas d’obtenir des renseignements fiables.

La leçon à tirer de tout cela : George W. Bush, qui était haï par une large frange d’Américains, a quand même réussi à se faire réélire en 2004.

mercredi 6 février 2008

Super confusion

Ces primaires américaines, c’est un vrai marathon. Il va falloir leur expliquer aux Américains qu’ils pourraient mieux s’organiser et simplifier leur sélection. Il y a deux mois, experts, équipes de campagne des candidats, commentateurs, nous annonçaient qu’on allait en avoir le cœur net le 5 février, le jour du Super Tuesday, où plus de vingt Etats étaient en jeu. Et bien, après avoir passé des heures à appuyer sur la touche « reset » de mon ordinateur pour actualiser sans cesse les pages web des sites d’information, tout en regardant CBS, NBC et ABC sur ma télé et CNN live sur mon ordinateur, c’est la super confusion. Ce Super Tuesday qui devait décider de tout n’a décidé de rien.

Côté républicains, passe encore. John McCain est désormais clairement le favori mais côté démocrates, le Super Tuesday n’a pas rempli les attentes. Au contraire. Après avoir dû comprendre pourquoi certains Etats organisaient des caucus et d’autres des primaires, pourquoi le candidat républicain qui arrivait en tête dans un Etat obtenait tous les délégués tandis que le candidat démocrate dans la même situation ne remportait qu’un nombre proportionnel de délégués, pourquoi Hillary Clinton a remporté le Nevada mais y a obtenu moins de délégués qu’Obama, maintenant, il va falloir comprendre la notion de superdélégués, ces notables du parti démocrate qui on un droit de vote lors de la Convention du parti et qui pourraient avoir un rôle décisif dans la lutte à mort qui se joue entre Hillary et Barack. Ainsi Barack (ou Hillary) pourrait très bien arriver à la Convention nationale du parti démocrate en août avec le plus grand nombre de délégués mais finalement échouer en raison du vote des superdélégués. Ces superdélégués sont plusieurs centaines, environ un cinquième de tous les délégués à la Convention.

Et puis on commence un peu à se fatiguer des discours, ressassés jusqu’à l’épuisement. Hier soir, on a cru un instant, à regarder Hillary Clinton, qu’elle venait de gagner. Mais non, ce n’est pas fini, on vous dit. Prochain rendez-vous, le 9 février. L’affrontement va se dérouler en Louisiane, dans le Nebraska et dans l’Etat de Washington. Et après, il y en a encore plein d’autres.

Devant tant de confusion et de complexité, il ne reste plus qu’à regarder comment les deux candidats démocrates sont habillés. Le tailleur d’Hillary hier soir était jaune, il était rouge la veille à l’émission de David Letterman, il était marron au débat en Californie. Un autre jour, il était bleu, une autre fois vert, etc… Il va falloir qu’ils se décident les démocrates, car elle va épuiser toute la palette de couleurs disponibles. Et puis Barack Obama qui porte désormais tout le temps la cravate. Vous avez remarqué, avant il la jouait Bernard Henri Levy, le col ouvert, façon je suis jeune et super-cool et évidemment « vous êtes raides dingues de moi, hein ? ». Mais il a progressivement adopté depuis quelques mois la cravate à mesure que les sondages s’amélioraient pour lui. Sans doute pour faire taire les critiques sur son manque d’expérience.

mardi 5 février 2008

La diablesse

C’était un peu le baiser de la mort. Surprenant ses ennemis comme ses fans, la venimeuse commentatrice politique conservatrice Ann Coulter a annoncé qu’elle préférerait voter pour la démocrate Hillary Clinton plutôt que pour le républicain John McCain, qui est, selon elle, trop « à gauche » (tout est une question de point de vue). « Si vous étudiez le fond plutôt que l’étiquette R ou D accolé au nom… alors Hillary va être notre fille, parce qu’elle est plus conservatrice que lui… Je pense qu’elle serait plus forte dans la guerre contre le terrorisme”, a dit Coulter vendredi sur la chaîne Fox news. Elle s’est dite prête à faire campagne pour Clinton si McCain remportait les primaires républicaines. « John McCain n’est pas seulement mauvais pour les républicains, il est mauvais pour le pays ».

Un tel soutien, Hillary Clinton s’en serait certainement bien passé, alors qu’elle tente de convaincre les démocrates de la choisir pour la course à la Maison Blanche.

Les propos d’Ann Coulter ne sont qu’une demi-surprise quand on connait la riche carrière de cette professionnelle de la provocation, parfois décrite comme une « Michael Moore républicaine ». Certains diront que Coulter n’a fait que suivre d’autres vociférants commentateurs conservateurs qui détestent McCain, comme l’influent animateur radio Rush Limbaugh qui a estimé que le succès rencontré par McCain était le résultat d’une « base conservatrice +fracturée+ et une palette de candidats républicains pour la présidentielle plutôt ternes ».

Depuis plusieurs années, Ann Coulter, ancienne avocate new yorkaise, a trouvé une niche dans le sarcasme, version conservateur. Et visiblement elle ne lasse pas. Elle apparaît souvent à la télévision, à la radio. Elle se défend en disant que contrairement aux présentateurs de télévision elle ne « prétend pas être impartiale ou avoir un point de vue équilibré ».

Dans sa riche carrière de propos provocants, Ann Coulter a déclaré en autres qu’elle en « avait assez d’entendre parler des victimes civiles » en Irak, que « ce serait sympa de balancer une bombe nucléaire » sur la Corée du Nord, que toutes les féministes sont « faibles et pathétiques » et que l’ancien président Bill Clinton « était un très bon violeur ».

Elle a critiqué celles qu’on a appelé les « Veuves du 11 Septembre », quatre femmes du New Jersey devenues célèbres pour leur combat afin d’obtenir la création de la commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre. « Je n’ai jamais vu des personnes apprécier autant la mort de leurs maris », a-t-elle dit charitable.

Elle est l’auteur de plusieurs livres, qui sont devenus des best-sellers, dont « Si les démocrates avaient un cerveau, ils seraient républicains », le plus récent. Il y a eu aussi « Calomnier : les mensonges des gauchistes concernant la droite américaine » (2002) et « Trahison : la traîtrise de la gauche de la guerre froide à la guerre contre le terrorisme » (2003).

L’an dernier, elle avait attaqué le candidat démocrate John Edwards (qui vient d’abandonner la course à la Maison Blanche) en le traitant indirectement de « pédé ». Edwards avait réagi sur son site web en jugeant ces propos « non-américains et indéfendables » et l’avait appelé « la diablesse ». Le lendemain, lors d’une émission sur la chaîne MSNBC à laquelle elle participait, Coulter avait reçu un appel téléphonique d’Elizabeth Edwards, l’épouse de John, lui demandant d’arrêter ses attaques personnelles. Coulter avait rétorqué que la campagne Edwards « collectait de l’argent » grâce à ses propos et avait qualifié l’appel de tentative de la faire taire.

La liberté d’expression est sacrée aux Etats-Unis.

lundi 4 février 2008

La garce et le terroriste

« Comment allons-nous battre la garce ? ». C’était la question posée par une supportrice du candidat républicain John McCain lors d’une réunion de campagne en Caroline du Sud en novembre. Et c’est bien ce qui menace Hillary Clinton si elle emporte les primaires démocrates : des attaques et des insinuations sexistes de la part de commentateurs conservateurs qui pourraient finalement jouer un rôle non négligeable dans une éventuelle défaite face à son adversaire républicain.

Hillary Clinton est souvent décrite par ses ennemis comme une sorcière, celle qui enlève aux hommes leur pouvoir, les émasculent. « Il y a quelque chose la concernant qui semble castrateur, dominateur, et terrifiant…Quand elle vient à la télévision, volontairement je croise mes jambes », a dit un jour l’animateur de la chaîne de télévision MSNBC, Tucker Carlson. Le célèbre animateur de radio Don Imus, l’a qualifiée l’an dernier de “sorcière” et de “Satan”. Et ce n’était pas première fois, affirme le site Media matters for America, qui analyse les médias pour « corriger la désinformation conservatrice ».

Quant à l’animateur de radio Glenn Beck, qui a aussi une émission sur la chaîne CNN Headline News, il s’est épanché un jour sur ses inquiétudes. Extraits : « Hillary Clinton ne peut pas être élue présidente car… il y a quelque chose concernant son registre vocal…. Il y a quelque chose à propos de sa voix qui m’énerve… Elle est la garce typique, vous voyez ce que je veux dire ? Après quatre ans, ne pensez-vous pas que tout homme en Amérique ne sera devenu fou ? … J’ai besoin de parler à un expert de la voix, car il y a un registre dans les voix féminines qui selon les experts est comme un ongle sur un tableau noir ».

Barack Obama, s’il emporte les primaires démocrates, ne sera pas non plus épargné par les commentateurs conservateurs. Et on a déjà eu un avant-goût du genre d’attaques dont il pourrait faire l’objet et qui en gros insinuent que les Américains risquent d’élire un terroriste.
Obama, même s’il ne s’étend pas sur la question, ne cache pas que son père kenyan a été élevé dans la religion musulmane, tout en précisant qu’il était athée quand il a rencontré sa mère. Quant à son beau-père indonésien, il est décrit comme un musulman non pratiquant. Obama a raconté également qu’en Indonésie, où il a vécu de l’âge de 6 à 10 ans, il avait « passé deux ans dans une école musulmane et deux ans dans une école catholique ».

Ce passé est du pain bénit pour les amateurs d’insinuations vicieuses qui se plaisent à appeler le candidat de son nom complet Barack Hussein Obama. Hussein pour tout Américain moyen évoque immédiatement le dirigeant irakien Saddam Hussein alors qu’Obama sonne un peu trop comme Oussama (Osama en anglais) ben Laden, le leader du réseau Al-Qaïda.

La chaîne de télévision Fox News a un jour diffusé un reportage affirmant que Barack Obama avait étudié dans une “madrassa”, ajoutant que les madrassas étaient financées par les Saoudiens et enseignaient « ce wahhabisme qui en gros nous déteste ».

Récemment, un animateur de radio conservateur Bill Cunningham a parlé de « Barack Mohammed Hussein Obama » (Mohammed n’est pas un prénom d'Obama). « Ce serait un choc”, selon cet animateur, si “Barack Mohammed Hussein Obama pouvait être élu président de ce pays dans ces difficiles moments terroristes ». Et Cunningham d’affirmer qu’Obama avait “été élevé dans des madrassas en Indonésie… Je me demande si Barack Hussein Obama comprend le danger que représentent les extrémistes mâles musulmans ».

La commentatrice politique conservatrice Debbie Schlussel, dans un article sur son site web titré “Barack Hussein Obama: autrefois musulman, toujours musulman”, met en doute le fait qu’Obama soit véritablement chrétien. « Même s’il s’identifie fortement comme un chrétien… il est quelqu’un que les musulmans considèrent comme musulman » (à cause de son père). Et elle se demande si les Américains veulent un tel président “quand nous menons le combat de nos vies contre l’islam?”.

vendredi 1 février 2008

Ticket

Ce qui est merveilleux avec la politique c’est que les ennemis d’un jour deviennent les amis de toujours avant de redevenir des ennemis jurés.

Le débat jeudi soir entre Barack Obama-vous-avez-bien-vu-mon-charisme et Hillary Clinton-moi-mon-mari-il-a-été-président en a été un parfait exemple. Il y a dix jours leur précédent débat avait été acrimonieux, ils ont choisi cette fois-ci d’être amicaux. Et Hillary de rire à gorge déployée et Barack, avec galanterie, de l’aider à pousser sa chaise alors qu’elle se levait à la fin du débat.

« J’étais ami avec Hillary Clinton avant que nous commencions cette campagne et je serai ami avec Hillary Clinton une fois que cette campagne sera finie », a déclaré Barack Obama, à côté de son adversaire tout sourire. Assis l’un à côté de l’autre, Barack et Hillary n’étaient pas dans une position très aisée pour se lancer des attaques. Ils ressemblaient à un couple de présentateurs de télévision délivrant les nouvelles du jour. Au précédent débat, ils étaient debout, chacun derrière un pupitre, une configuration plus facile pour balancer des méchancetés.

Tant d’amabilités avaient de quoi étourdir… voire décevoir. Je m’étais préparé, carnet en main, à noter les piques assassines qu’ils allaient s’envoyer. Le titre de l’article était déjà tout trouvé, « Deuxième round ». Ils allaient s’écharper, c’était sûr. Et bien non ! Conseillers, experts des sondages leur ont entretemps certainement fait comprendre, ou ont-ils compris eux-mêmes, qu’il fallait passer outre leur rancœur s’ils ne voulaient pas ruiner les chances des démocrates de gagner l’élection présidentielle de novembre. La menace John McCain-j’ai-été-prisonnier-des-Viets, côté républicain, se précise de plus en plus et il n’a pas autant d’effet repoussoir que Mitt Romney-sourire-ultrabright ou Mike Huckabee-j’ai-perdu-50-kilos.

Devant tant de courtoisie mutuelle, le journaliste de CNN Wolf Blitzer n’a pas pu s’empêcher de leur demander s’ils étaient prêts à envisager de faire campagne ensuite ensemble, de former le « ticket » comme on dit, pour devenir les futurs président et vice-président des Etats-Unis. Et Obama, après avoir dit tant de méchantes choses sur Hillary ces dernières semaines, n’a pas tari d’éloges sur son adversaire : « je pense qu’elle sert le pays de manière extraordinaire ». « La réponse est-elle oui ? Il semble que c’est oui, qu’elle serait sur votre liste » d’éventuels colistiers, a demandé le journaliste. « Je suis sûr qu’Hillary serait sur la liste de tout le monde », a finalement répondu Obama, déterminé à être courtois jusqu’au bout. Plus maline, Hillary a esquivé la question se contentant de dire qu’elle était d’accord avec tout ce que Barack venait de dire.

En attendant un hypothétique ticket Clinton-Obama ou Obama-Clinton, Washington bruit de rumeurs sur les éventuels colistiers du gagnant(e) des primaires démocrates et républicaines. Côté républicain, si McCain l’emporte, on évoque comme colistier Mike Huckabee, un de ses adversaires actuels qui a l’avantage d’être apprécié chez les plus conservateurs des républicains. Côté démocrate, si c’est Clinton, l’ex-général Wesley Clark (qui a été à la tête des troupes de l’OTAN en Europe), John Edwards, qui vient d’abandonner la course à la Maison Blanche, et Bill Richardson, qui avait abandonné la course plus tôt, seraient sur la liste. Quant à Obama, il pourrait aussi être intéressé par John Edwards ou Claire McCaskill, sénateur du Missouri.